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A l’occasion du 20 mars, journée mondiale de l’hygiène bucco-dentaire, Mohammed Jerrar, président de l’Ordre National des Médecins Dentistes, tire la sonnette d’alarme sur la santé dentaire des marocains et appelle à la mise en place d’un plan national de prévention et de protection de la santé dentaire au Maroc.

  • Combien existe-t-il de médecins dentistes en exercice aujourd’hui au Maroc? Trouvez-vous que le nombre de médecins dentistes est capable de satisfaire la demande de soins dentaires au Maroc?

La démographie des médecins dentistes a connu une évolution considérable, passant d’une centaine de médecins dentistes dans les années 1970 à plus de 5.200 médecins dentistes actuellement, dont 90% exercent dans le secteur privé.

Ces médecins dentistes sont répartis sur tout le territoire marocain et sont présents partout, notamment dans les petites villes comme Aourir, Ain taoujdate, Aklim, Driouch, Ben ahmed, Ouled Berhil, Souk essabt, Kelaat meggouna, Tahnnaout, Missour, Mrirt, Tahla, Erfoud et tant d’autres.

En outre, il est important de souligner que le ratio national actuel est d’un médecin dentiste pour 7000 habitants. L’objectif est d’atteindre en 2025 celui d’un médecin dentiste pour 5000 habitants.

  • Que proposez-vous concrètement pour combler le déficit en matière de soins dentaires au Maroc?

La prévention est la pierre angulaire de notre profession. L’’Ordre National des Médecins Dentistes (O.N.M.D) œuvre en continu pour une action prospective et pédagogique au profit des citoyens. L’objectif étant de faire de la santé bucco-dentaire un vecteur de santé globale à travers la prévention et la sensibilisation. A cet effet, l’O.N.M.D prévoit chaque année un ensemble d’actions afin de communiquer aux citoyens l’importance de la santé bucco-dentaire. L’O.N.M.D demande aussi aux médecins dentistes de sensibiliser leurs patients et de les inciter à faire de même avec leur entourage. Nos actions sont suivies par les médias qui nous accompagnent toujours.

  • Que pensez-vous des praticiens de la médecine dentaire au Maroc qui n’y sont pas qualifiés et qui ne respectent pas les règles déontologiques? Avez-vous une estimation de leur nombre au Maroc?

La pratique illégale de la médecine dentaire par des praticiens qui ne disposent ni des connaissances scientifiques requises ni des techniques professionnelles réglementées, constitue une menace grave et sérieuse sur la santé des citoyens. A cet égard, l’O.N.M.D n’a de cesse d’alerter sur le danger réel de ces pratiques frauduleuses, qui font des ravages parmi les populations marocaines et sont à l’origine d’handicaps, de maladies graves et de décès parmi nos concitoyens.

En juin 2014, M. Mohamed HASSAD, ministre de l'intérieur, avait déclaré devant les élus au parlement que d’après un recensement effectué par son ministère, le nombre total des prothésistes dentaires qui exerçaient en bouche illégalement au Maroc, était de 3.300.

Des commissions de contrôle ont en effet, détecté de nombreux dépassements et contraventions qui ont fait l’affaire de poursuites judiciaires.

  • Quelle est le danger de ce phénomène pour la santé publique au Maroc?

Malheureusement, les personnes confuses, ne distinguant guère la différence entre un vrai et un faux médecin dentiste, ayant recours à ces praticiens illégaux, ignorent que leur santé voire même leur vie, sont sérieusement mises en jeu. Les conditions d’hygiène et d'asepsie  du matériel n’étant pas respectées, d’énormes risques de contamination et de transmission de maladies graves telles que le Sida, l’hépatite ou encore la tuberculose guettent les malades. Aussi, l'utilisation de produits pharmaceutiques non contrôlée et périmés, notamment les anesthésiques à usage  professionnel dentaire, issus de la  contrebande, peuvent en plus des complications des infections, aller jusqu’à causer leur mort. Ce qui était le cas d’une dizaine de décès enregistrés dans certaines villes telles que Salé, Sidi Bennour, Nador, Benguerir et Agadir entre autres…

Il est à préciser que ceci n’est que le recensement des cas connus par l’Ordre et par les médias. Ce qui insinue que le nombre réel des décès peut s’avérer plus grand. Le dernier cas recensé est celui d’un MRE résidant aux Etats Unis, qui a connu la mort en août 2015 suite à une visite effectuée dans un laboratoire de prothèse chez une personne non habilitée à exercer la médecine dentaire.

Devant ce constat, les ordres des pharmaciens et des médecins dentistes ont mis en place une nouvelle procédure d'acquisition des produits anesthésiques  afin d’assurer une meilleure sécurité sanitaire, une protection de l’intégrité physique de nos concitoyens, une bonne traçabilité pour enfin, lutter contre l’exercice illégal de la médecine dentaire.

  • Procédez-vous à des enquêtes dans ce sens? A quelle fréquence? et quels sont les résultats de votre dernière enquête sur le terrain?

La dernière étude sur la pratique illégale de la médecine dentaire dans 17 villes a été réalisée par la faculté de médecine dentaire de Casablanca. Celle-ci relève des constats aberrants, à savoir :

  1. 56% des praticiens sont des mécaniciens dentistes
  2. 10% des arracheurs de dents
  3. 7% des barbiers
  4. 26 % de ces personnes ont eu les dents cassées après intervention
  5. 15% souffrent d’infections au niveau de la dent arrachée
  6. 7% souffrent d’infections externes
  7. 10% ont eu des saignements
  8. 50% des recensés ignorent les conséquences néfastes de ces pratiques sur leur santé.
  • A l’occasion de la journée mondiale de la santé bucco-dentaire, à savoir le 20 mars, vous avez appelé à la mise en place d’un plan national de prévention et de protection de la santé dentaire au Maroc. Avez-vous élaboré une proposition de stratégie nationale? Sur quoi exactement porterait-elle? Quels seraient ses axes? Quels seraient ses objectifs?

Une stratégie national a été élaborée dont l’objectif principal consiste à protéger et promouvoir la santé bucco-dentaire, composante essentielle de la santé générale chez l’ensemble de la population marocaine. S’ajoute à cela, la prévention des complications des maladies bucco-dentaires, notamment chez les enfants et les sujets à risque.

Les objectifs spécifiques de cette stratégie qui s’inscrivent dans la lignée des objectifs fixés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), se présentent comme suit :

  1. Réduire d’ici 2025 la prévalence de la carie dentaire de 50 % chez les enfants de 6 à 12 ans d’ici 2025

  2. Diminuer la prévalence des parodontopathies de 40 % chez les jeunes moins de 18 ans d’ici 2025

  3. Répondre aux urgences et réduire les complications des affections bucco- dentaires chez les adultes de 35 ans et plus.

  4. Renforcer l’offre de soins dentaire et améliorer les indicateurs de disponibilité et d’accessibilité.

Quant aux axes de cette stratégie nationale, ils se résument en ce qui suit :

  1. Renforcement des programmes de prévention.
  2. Développement de l’offre de soins.
  3. Révision et actualisation de l'arsenal juridique et  réglementaire
  4. Développement et renforcement du partenariat. 
  5. Renforcement de la formation de base, organisation de la formation continue et promotion de la recherche. 
  6. Marketing/Communication
  7. Suivi et évaluation. 
  • Disposez-vous de chiffres actualisés concernant les soins dentaires au Maroc et l’accès à ces derniers?

Le Maroc a fait un grand effort au niveau de la santé bucco-dentaire tant au niveau privé qu’au niveau public par rapport à la formation et la création des structures de soins afin de répondre aux besoins en matière de soins bucco-dentaires. Néanmoins, beaucoup reste à faire .

  • Comment la non généralisation de la couverture sanitaire handicape-t-elle l’accès aux soins dentaires au Maroc?

Il est fort dommageable de constater en effet, que la dépense moyenne annuelle de la santé bucco-dentaire par personne au Maroc, n’est que de 16,47 DH en milieu urbain, tout en sachant que seuls 6,2 % du PIB national sont réservés à la santé. L’argent public alloué à chaque habitant pour sa santé est ainsi bien, en deçà de la moyenne des pays à développement semblable à celui du Maroc (180 dollars contre 230 dollars en moyenne).

Cependant, en 2015, il y’a eu la mise en application de l’extension du panier des soins dentaires par la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS) pour les personnes âgées de plus de 12 ans, suite aux relances insistantes de l’O.N.M.D.

Aussi, la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS) a effectué une revalorisation du tarif des soins dentaires en relevant le remboursement de ceux-ci. Ainsi, le tarif du « D » est passé progressivement de 6 DH à 12.50 DH pour les prothèses dentaires, et de 6 DH à 17,5 DH pour les soins dentaires, soit un alignement sur le tarif national de référence (TNR).

Par ailleurs, le TNR destiné au remboursement des soins dentaires reste faible et les procédures administratives contraignantes pour les ayants droit.

C’est pour ces raisons que l’Ordre National revendique la révision du TNR à la hausse et l’application du tiers payant avec les organismes gestionnaires afin de faciliter l’accès aux soins des bénéficiaires.

  • A quelle hauteur l’AMO rembourse-t-elle les frais de soins dentaires au Maroc?

  1. 70% pour la Caisse Nationale de la Sécurité Sociale (CNSS)

  2. Et 80% pour la Caisse Nationale des Organismes de Prévoyance Sociale (CNOPS)

  • Comment se place le Maroc sur le plan de la prévention et la protection de la santé dentaire?

Beaucoup de travail se fait sur le terrain par le ministère de la santé ainsi que par plusieurs associations des médecins dentistes à travers des actions de sensibilisation et de prévention dans plusieurs régions du Maroc, voire même produire des soins préventifs et curatifs. Cependant et encore une fois, beaucoup reste à faire…

 

  • Quels sont les dangers d’une mauvaise hygiène bucco-dentaire?

Une mauvaise hygiène bucco-dentaire peut entraîner des maladies comme la carie, la gingivite, ou encore la parodontite.

Les maladies bucco-dentaires peuvent avoir des effets sur la santé générale, à savoir sur :

  • Le cœur et les vaisseaux
  • De même, Si vous avez une carie et qu’elle n’est pas soignée, les bactéries gagnent la racine de la dent et provoquent un abcès dentaire. Si aucun soin n’est effectué, la pénétration des bactéries dans le sang et leur multiplication dans le corps peut provoquer une septicémie.

    • La nutrition : les personnes édentées peuvent avoir des problèmes pour mastiquer certains aliments, même avec une prothèse bien ajustée. Fréquemment, ces personnes modifient leur alimentation. Elles consomment moins de fruits et de légumes, moins de viandes… entraînant ainsi des carences nutritionnelles. Ces carences augmentent le risque de diabète, cancer, hypertension, maladies cardio-vasculaires…

    • La grossesse : Les mères qui présentent une parodontite augmentent les risques d’accouchement prématuré et peuvent donner naissance à un enfant de faible poids.

  • Les os, articulations et tendons : les maladies comme l’arthrose, la cervicalgie

    • Le diabète : L’hygiène dentaire est aussi importante que celle de la peau ou des pieds, pour les personnes diabétiques.

  • La gorge, les oreilles, les sinus : Nombre de maladies ou troubles ORL (Oto-Rhino-Laryngologiques) sont d’origine dentaire ou aggravée par une mauvaise santé buccale.

  • Quelle est la place du Maroc sur ce point?

Une enquête épidémiologique nationale réalisée par le ministère de la santé en collaboration avec l’OMS en 2012 a montré que :

  • la prévalence de la carie est de 81.8% à 12 ans, de 86.7% à 15 ans et de 91.8% chez les adultes à 35-44 ans

  • la prévalence des parodontopathies est de 42.2% à 12 ans, 59.8% à 15 ans et de 79.2% à 35-44 ans

  • Près de 30% des personnes de 65 à 74 ans n’ont pas de dents naturelles

  • 60 à 90% des enfants souffrent de maladies orales.

 

  • Quels étaient les résultats de la campagne nationale de la santé bucco-dentaire lancée en 2014?

L’objectif de cette campagne est l’amélioration de la santé bucco-dentaire des citoyens. Ce point est, et a toujours été, notre premier objectif. En deuxième lieu, l’O.N.M.D cherche à travers cette campagne, à sensibiliser les citoyens sur le lien direct qui existe entre la santé bucco-dentaire et la santé générale des citoyens. Le constat après chaque campagne est pratiquement le même, la santé bucco-dentaire ne représente pas une priorité pour le citoyen. C’est pour cette raison que l’O.N.M.D renouvelle chaque année ses actions et joue pleinement son rôle d’instance principale œuvrant pour l’amélioration des habitudes relatives à l’hygiène bucco-dentaire, en étroite collaboration avec les autorités compétentes. Concernant l’utilisation de la brosse à dents, l’O.N.M.D constate une certaine évolution, à travers la remontée d’information par les médecins dentistes. Malheureusement, cette évolution reste en deçà de nos attentes. La raison pour laquelle l’O.N.M.D continue de mettre en place des actions de sensibilisation.

Au Maroc, l’utilisation moyenne est de 1 tube de 50 ml de dentifrice par habitant par an, et d’1 brosse à dent par habitant tous les quatre ans et demi. Ce qui reste très faible en comparaison avec d’autres pays comme la France, où la moyenne est de 4,4 tubes de dentifrice par habitant par an, et 1,7 brosse à dent par habitant par an.

  • Quels sont vos conseils pour maintenir une bonne hygiène bucco-dentaire?

Il est important de savoir que la santé de nos dents est étroitement liée à notre santé générale. Adopter une bonne hygiène bucco-dentaire est le secret pour garder nos dents à vie et nos gencives saines pour ainsi éviter les maladies générées par une mauvaise dentition.

Voici quatre règles, qui sont la base d’une bonne hygiène bucco-dentaire. Tout d’abord, une alimentation saine, variée  et équilibrée est primordiale, sans abuser de certains aliments notamment les sucres, aliments et boissons acides.

Aussi la cigarette, le café et le thé, peuvent abîmer les dents et les tâcher. Ils sont parfois responsables de la mauvaise haleine. Il faut se brosser les dents, deux à trois  fois par jour et en général après chaque repas. Utiliser une brosse à dent  à poils souples ou moyens, en nylon, pour ne pas abîmer l'émail des dents, à changer tous les trois mois, et un dentifrice riche en fluor.

Vous pouvez utiliser aussi un fil dentaire qui permet d’ôter tout résidu inter-dentaire, souvent responsable des caries et parodontopathie. Enfin, une visite au moins une fois par an chez le médecin dentiste permet de prévenir toute maladie ou la traiter à ses débuts.

 

                              Propos recueillis par Chaima Ezzahraoui pour mondentiste.ma